« La combinaison de l’IA et des sciences cognitives sera au cœur de la prochaine révolution éducative »
Dans le cadre de sa publication spéciale sur la souveraineté numérique, idruide a interviewé Thierry de Vulpillières, Co-fondateur d’EvidenceB.
Les ressources éducatives peuvent bénéficier d’innovations grâce au numérique, ouvrant la voie à de nouveaux objets d’apprentissage. Notre positionnement est différent : il vise à contribuer à l’amélioration des enseignements fondamentaux, en particulier la numératie et la littéracie.
L’éducation est très cloisonnée entre les pays ; seuls les dispositifs transnationaux fournissent une vision comparative des différents systèmes éducatifs, dont PISA1 pour les élèves de 3e, ou TIMSS 2 en fin de primaire. Dans ces enquêtes internationales, la France,
comme d’autres pays, a des résultats assez moyens, ce qui peut nous alerter sur la maîtrise des enseignements fondamentaux par les élèves. C’est pour traiter cette problématique qu’EvidenceB a développé une approche cognitive de l’apprentissage, qui permet d’expliquer les erreurs – et d’y remédier. D’où le nom de notre société, fondée sur les principes de l’evidence-based education : une éducation fondée sur les preuves, documentée par la science – les neurosciences en particulier, et leurs apports ciblés sur les apprentissages fondamentaux. Par exemple, pour le sens des proportions, nous avons collaboré avec des chercheurs de l’institut allemand Max-Planck qui travaillent sur ce qui fonctionne, dysfonctionne, et comment y remédier.
Notre deuxième pilier est le recours à l’intelligence artificielle. Dans le respect des règles européennes, l’exploitation de la data – que laisse toute action numérique d’un élève quand il travaille sur un exercice – permet d’identifier le meilleur parcours pédagogique. Elle ouvre la voie à une promesse de personnalisation. Les ressources pédagogiques d’EvidenceB, comme Adaptiv’math (pour le primaire) ou Adaptiv’langue (pour les lycées), reposent sur plus de 8 000 exercices, structurés et conçus avec les chercheurs en sciences cognitives, ce qui permet au moteur d’intelligence artificielle d’allouer immédiatement à chaque élève uniquement les exercices qui vont l’aider. Par ailleurs l’enseignant dispose d’un tableau de bord pour suivre l’évolution de chaque élève.
Pour être en phase avec la règlementation, différentes strates doivent être prises en compte. Nous intégrons le respect de la protection des données personnelles dès le stade de la conception de nos produits. Nous sommes accompagnés sur la dimension juridique, pour une parfaite conformité en France comme à l’international. Pour le traitement de la data, nous privilégions le micro-traçage et l’anonymisation ; l’identité de l’élève s’affiche dans l’ENT 3, mais l’accès à nos services ne nécessite pas ensuite de données personnelles. Nous respectons donc le principe de l’utilisation minimale. En effet, notre solution ne vise pas la traçabilité du parcours de l’élève, mais la succession d’exercices la plus pertinente. Par exemple, quand tel exercice de grammaire ou de calcul est réalisé, dans telle séquence, l’algorithme va en proposer automatiquement un autre. L’objectif pédagogique est la compréhension intime du concept, en partant du principe que le résultat obtenu à un exercice détermine le suivant : cela ne nécessite pas d’enregistrer et d’exploiter les données personnelles.
L’identité de l’élève est gérée par un tiers authentificateur, celui de l’ENT. Sur cette base, il est ensuite authentifié sur notre plateforme en SSO 4, afin que la réconciliation entre l’identité et le parcours de l’élève soit effective. À l’échelle d’une année, nous pouvons ainsi réconcilier les bases de données en pseudonymisant, afin de voir sa progression.
Notre ambition est d’être présents dans différents pays. Or, sur la scène internationale, quand on propose une solution basée sur l’IA, la principale clé de succès est la confiance. Le cadre règlementaire très strict qui prévaut en France et en Europe contribue à renforcer la sécurité ; pour nous, c’est donc un atout différenciant, un accélérateur de vente. Le cadre de réflexion est identique pour le Cloud souverain. Nous jouons le jeu de la protection la plus élevée, par exemple en travaillant avec Docaposte, référence de la confiance numérique en France.
La question principale liée à des ressources numériques, comme celles qu’EvidenceB déploie, est celle de la confiance des usagers, notamment des enseignants. Il est donc indispensable de concevoir des solutions sécurisées, d’être rassurant sur la protection des données, et transparent sur leur utilisation. Par ailleurs, il est important de rappeler à la communauté éducative que l’IA n’est pas une vérité : c’est l’individu qui doit avoir le final cut. Avec nos produits, l’intelligence artificielle émet des suggestions, et l’enseignant décide s’il suit, ou non, ses recommandations, poursuit ou non la séquence pédagogique, etc.
La création d’EvidenceB repose sur des transferts de recherche. Par exemple, l’un de nos algorithmes, centré sur l’apprentissage par renforcement, a été développé par le Centre Inria de Bordeaux. Il repose sur le principe de zone proximale de développement, concept que l’on doit au psychologue Lev Vygotski. Pour maintenir l’engagement de l’élève, il s’agit de lui proposer une difficulté un peu plus élevée que l’exercice qu’il maîtrise, mais pas trop pour ne pas le décourager. Les cogniticiens déterminent le contenu de ces zones, et sur cette base l’algorithme commence à tourner « à froid », sans avoir besoin de data pour l’alimenter. Nous allons poursuivre cette logique en démultipliant la capacité à comprendre pourquoi un élève rencontre telle ou telle difficultés et comment le faire progresser. C’est l’abondance de data et la puissance des algorithmes qui aideront à mieux comprendre les mécanismes d’apprentissages chez les élèves.
Les progrès en matière d’IA vont permettre de renforcer la personnalisation sur la base de données comportementales, sans avoir besoin d’identifier l’élève. La révolution à venir verra les sciences cognitives améliorer l’apprentissage. L’humain est doué pour les mathématiques et pour les langues ; l’échec scolaire n’est donc pas une fatalité. La capacité à transmettre les savoirs fondamentaux va être démultipliée par leur combinaison avec l’IA. Celle-ci va s’affiner de plus en plus pour aider à comprendre où en est l’élève, et où il peut aller : soit une formidable source d’information pour les laboratoires en sciences cognitives.